MYOPIA - Film de Sana Akroud
Myopia - Film de Sana Akroud
Myopia - Prémière MAROC
Festival Int'l de Cinema Vues d'Afrique
FIFDA
Visions d'Afrique
African Diaspora Int'l Film Festival
Women's History Month
MYOPIA
Sana Akroud | Canada/Maroc | 2019 | 82 minutes | Regards d’ici long-métrage
On aurait préféré que cette œuvre subtile et ingénieuse soit au moins dotée d’un générique ad hoc, avec noms de compagnie et sous-titres adéquatement orthographiés, sans lesquels elle exsude ici un amateurisme embarrassant indigne du talent réel impliqué dans son élaboration. Myopia est une œuvre de facture somptueuse. C’est ce que prouve le florilège d’images glanées dans la communauté montagnarde liminaire : plans de poutres suintantes, de mosquées rudimentaires, de fenêtres en ferronnerie et de hameaux à flanc de montagnes, qui évoquent déjà un Winter Sleep (2014) des démunis dans le Maroc central. On capture alors le rythme langoureux de l’existence pastorale avec une perspicacité tout envoûtante, qui n’exclue pas un certain esthétisme dans l’évocation du labeur pénible, de l’isolement géopolitique et de la posture obscurantiste des villageois, source d’une prémisse simple, mais savante, articulée autour d’un symbole fort de l’hégémonie doctrinale détenue jalousement par les élites religieuses.
Les choses se déroulent normalement à Takka jusqu’au jour où l’imam local se blesse et brise ses lunettes. Seul résident capable de lire et écrire, seul détenteur d’une éducation littéraire et religieuse quelconque, l’imam est essentiel à la communauté en cela qu’il est l’unique personne capable de déchiffrer les lettres provenant de l’extérieur. Or, plutôt que d’aborder les lacunes intrinsèques d’une telle centralisation des connaissances, les villageois décident d’agir de manière purement pragmatique, et d’envoyer un émissaire pour quémander sans prescription des verres de remplacement. Fatim, mère monoparentale affligée par l’idée que la lettre tant attendue de son mari exilé lui demeure à jamais indéchiffrable, est choisie pour l’opération, puis catapultée dans le monde urbain de la comédie burlesque, où son archétype de péquenaude ignare se retrouve invariablement mêlée à des péripéties saugrenues émanant de sa propre hébétude. Après son implication involontaire dans une manifestation violemment réprimée où elle perd son bébé, le film prend une tournure politique absurde à la manière de L’insulte (2017), instrumentalisant la pauvre Fatim au même titre que sa propre mise en scène, dont le pittoresque somptueux de la première heure cède tant bien que mal à l’art dramatique touchant de Sana Akroud, parfaite en paysanne bonasse résignée à la tradition.
Si la narration visuelle subtile de l’introduction se résorbe alors dans une série de tactiques plus platement démonstratrices, si les échanges épineux en champs-contrechamps commencent à constituer l’essentiel de la grammaire cinématographique, si la surenchère de musique envahissante tient désormais lieu de narration, force est néanmoins d’admirer l’astuce et la constante rigueur dont fait preuve l’autrice dans l’utilisation du leitmotiv central de la myopie. La myopie, c’est la posture initiale de Fatim, qui plutôt que de calfeutrer l’infiltration d’eau qui sévit dans son plafond préfère déplacer son lit. C’est son incapacité à voir plus loin que la butte où point quotidiennement le facteur bredouille, plus loin que la fenêtre carcérale de sa chambre, plus loin que son labeur de bûcheronne (capturé dans une séquence documentaire particulièrement impressionnante). C’est l’incapacité des villageois à remettre en question un système de classes qui leur nuit ostensiblement, c’est surtout l’incapacité de tous les acteurs sociaux urbains à voir plus loin que leurs propres dogmes, et à considérer Fatim comme un être entier et contradictoire plutôt qu’un symbole opportun. C’est finalement le processus de confusion du spectateur lui-même, jeté d’une scène à l’autre sans préavis, déambulant comme la protagoniste dans un espace qui lui apparaît tout aussi fragmenté et tout aussi déconcertant. C’est surtout le génie d’une idée qui, poussée à sa plus complexe, protéiforme et conséquente expression évoque la marque d’une véritable autrice qui, en toute humilité, cerne ici parfaitement la nature d’un monde où c’est la myopie de l’humanité elle-même qui évacue tout son potentiel d’humanisme.
Olivier Thibodeau
www.panorama-cinema.com
Myopia, de Sana Akroud
Avec peu de moyens, mais un sens juste du cinéma, la comédienne et cinéaste d’origine marocaine Sana Akroud, établie au Québec, raconte ici une histoire à vous arracher le cœur. Celle de Fatem (Akroud), une femme enceinte de six mois qui quitte son village haut perché dans les montagnes du Maroc dans le but de rapporter une nouvelle paire de lunettes à l’iman, seul habitant qui sait lire. Son périple vire au cauchemar kafkaïen lorsqu’elle arrive en ville. Ce film qui porte de belles qualités d’image et de lumière parle de pauvreté, de condition féminine et d’un bonheur si simple qu’on a peine à en saisir le sens de nos jours.
André Duchesne La Presse
Publié le 16 avril 2020
The film festival ceremony took place virtually due to the COVID-19 pandemic. The annual festival normally takes place in Montreal, Canada, which is under a local state of emergency.
The Moroccan Canadian film won the “Views From Here” award, awarded by the French television channel TV5 and Akroud, also an actress, earned an honorable mention “for female interpretation” in the acting category.
Akroud, who is also an actress, told Maghreb Arab Press she is proud of the awards and the recognition for the “long-term” project.
“It is also a good start for the film on the level of participation in international festivals” she added.
Myopia tells the story of a pregnant woman who lives in a village in the mountains. The woman goes on a journey to get glasses for an elder in the village, the only literate person in the village, who reads letters the villagers receive from their families in the city.
“Views of Africa” announced the winners and special mentions of its competition during a virtual closing ceremony accessible live on April 27 via its Facebook page.
Myopia
Et puis, encore un long métrage, cette fois-ci marocain; récit d’une incroyable puissance dramatique, Myopia / Qasr Alnazar, mené admirablement par le personnage de Fatem (Sana Akroud, également réalisatrice du film, établie aujourd’hui au Québec). Aucun moment inutile, d’une rigueur visuelle étonnante, et plus que tout, dans la deuxième partie du film, particulièrement celle se passant dans une ville de Casablanca tentaculaire, mais toujours aussi blanche, on assiste à une prise de conscience indicible de la présence juive doublement millénaire dans ce pays. Sans rien montrer, par instinct, sans aucun discours politisant, tout en nuances, remettant les pendules à l’heure. Dommage que la cinéaste n’ait pas été assez loin sur cette question. Et Akroud, la comédienne, simplement impériale. Puis, ce Maroc des oubliés, des perdants, des illettrés des montagnes que seules cette révolte de jeunes dans les rues de la capitale économique du royaume et la présence des journalistes peuvent, ne serait-ce qu’à petit pas, peuvent parvenir à les affranchir. La séquence où Fatem allume quelques bougies dans une synagogue aussi abandonnée que défraîchi où elle élu domicile dans ce village isolé des montagnes demeurent la plus bouleversante, montrant jusqu’à quel point le Maroc a toujours été, à travers les siècles, une terre d’accueil pour les délaissés et les exilés.
Élie Castiel
kinoculturemontreal.com
Vues d’Afrique : Sanaa Akroud partage sa vision du cinéma avec « Myopia »
Myopie de Sanaa Akroud | Africultures
Une femme face aux préjugés
Il n’est pas étonnant que le prix de la section Regards d’ici (films produits au Canada) au festival Vues d’Afrique en ligne (17 – 26 avril 2020) soit allé à Myopie, dont le titre évoque un questionnement du regard. L’impressionnante richesse de ce film à la fois simple et subtil porte à discussion.
Le scénario tient en une phrase : une femme va en ville pour faire réparer les lunettes du seul qui sait lire au village car elle attend des nouvelles de son mari. Fatem vit en effet dans un village très reculé dans les hauteurs de l’Atlas marocain. Sa fille Aïcha sur les bras, elle attend le marchand qui, à dos d’âne, amène aussi les lettres au village. Mais voilà six mois que le mari est parti et que la lettre ne vient pas. L’imam, le seul qui sait lire, est myope et a cassé ses lunettes. Malade, il ne peut aller en ville faire remplacer les verres. Réunis, les habitants cherchent une solution. Les femmes du village au verbe franc reprochent aux hommes d’avoir considéré qu’apprendre à lire ne sert à rien. Craignaient-ils une concurrence ou des départs ? Toujours est-il que les hommes se défilent quand il s’agit d’aller faire réparer les lunettes. Bien qu’enceinte presqu’à terme, Fatem se dévoue. Commence alors une pérégrination initiatique et édifiante à plus d’un titre.
Elle sera interrogée par la police, défendue par une association, interviewée par une journaliste… On lui reproche d’avoir mis en danger son bébé, on lui pose des questions des plus intrusives, mais chacun applique son schéma de pensée – myopie d’une société incapable de percevoir sa différence. Policiers agressifs mais accusés à tort, activistes l’encourageant à porter plainte, journaliste en mal de sensationnel qui transforme l’info, même un ministre à l’écoute… aucun ne comprend qu’elle ne veut que réparer les lunettes.
Son altérité est celle du paradoxe de sa vie : la rudesse du labeur quotidien dans la montagne enneigée et donc l’envie d’un devenir meilleur, investie dans l’attente du mari qui viendrait la chercher et donc la lettre qui donnerait des nouvelles, mais aussi la beauté de la nature et le bonheur de son inscription dans cette harmonie. Cela non plus, personne ne le comprend, si ce n’est un homme qui ne dit rien mais qui sait écouter.
Plus encore, c’est la conception de Fatem de ce qu’elle dit être son passage sur terre que personne ne saisit. Chacun lui voudrait une intention, un engagement ou une responsabilité. Alors que jamais elle ne se plaint, qu’il lui suffit que son mari chante quand il est content, qu’elle n’est pas fataliste, sans référence pesante à une croyance, juste l’aspiration d’une vie moins rude liée à une belle détermination. Aucun jugement : elle est ce qu’elle est, et rayonne dans sa simplicité, même sans remettre en cause les strictes normes d’une vie reculée.
Avant d’ouvrir une lettre, l’imam précise bien qu’il n’est pas devin, profondément respectueux de l’autonomie d’autrui. Ce n’est pas lui qui s’opposait à ce que les enfants apprennent à lire. Cette microsociété montagnarde est profondément conservatrice mais n’est pas en soi à condamner. Elle bouge d’elle-même sous l’effet conjugué des femmes et de la nécessité de l’émigration de travail. Elle n’est certainement pas à idéaliser, mais pas non plus à mépriser : elle rappelle un passé oublié sous les coups de buttoir de la modernité. Un des rares sourires de Fatem sera d’ailleurs pour un extrait des Temps modernes dans la salle d’attente du médecin où Chaplin se fait manger par les mécanismes du travail à la chaîne.
Fatem regarde fascinée des peintures murales représentant la variété des visages, notamment d’un Noir : la diversité du monde. Elle n’est que peu sortie de son village mais n’a pas la myopie de ceux qui voudraient que tout réponde à leur vision. Ces entretiens qui sonnent comme des interrogatoires et confèrent au film une forte connotation documentaire permettent à Fatem d’expliciter son vécu et comment elle le ressent. Elle reste cependant abstraite pour ses interlocuteurs, tant ses paradoxes (comme le fait que perdre un enfant est commun et ne constitue pas un drame en soi) leur sont étrangers. Le film ne nous demande pas de les épouser mais de comprendre que c’est ainsi pour ces femmes de la montagne en situation de précarité, non une indifférence ou une absence d’émotion, bien au contraire, mais une façon de prendre la vie telle qu’elle se présente. Forte de son périple, Fatem pourra s’associer aux protestations des femmes, mais c’est une autre histoire.
C’est à l’écoute de ces femmes que Sanaa Akroud a écrit ce scénario qu’elle interprète et réalise à la fois. En dehors de ces entretiens, elle le fait avec peu de mots. Les plans séquences de Wolfango Alfi répondent à cette volonté de rendre compte du temps que prennent les actes du quotidien. Ils contribuent à l’ouverture d’esprit qu’appelle ce film sans message asséné, si ce n’est d’inviter à comprendre qu’une équivoque n’est pas une limite mais une complexité.
Olivier Barlet
le
africultures.com
Myopia
Résumé
Fatem, enceinte, quitte son village perché dans la montagne, pour faire réparer les lunettes de l’imam , seule personne capable de lire les lettres des membres des familles partis travailler dans les villes. Prise, en ville, dans une manifestation, elle perd son enfant. Cet évènement la met aux prises avec tous ceux, notamment les médias et les politiques, qui cherchent à utiliser ce drame à leur profit.
« Il n’est pas étonnant que le prix de la section Regards d’ici (films produits au Canada) au festival Vues d’Afrique en ligne (17 – 26 avril 2020) soit allé à Myopia, dont le titre évoque un questionnement du regard. L’impressionnante richesse de ce film à la fois simple et subtil porte à discussion «
Olivier Barlet . AFRICULTURES 28 aril 2020
visionsdafrique.fr